N'attendons plus !
De plus en plus d'Africains de la diaspora prennent conscience de leur identité d'Africains. Il s'agit d'une démarche héroïque -il faut le souligner- de quête et même de reconquête d'un soi volé, confisqué, lynché. Les frères et les sœurs Africains du continent ne devraient pas sous-estimer l'extrême violence exercée pendant des siècles durant sur les corps, les cœurs et l'esprit de leurs frères et de leurs sœurs afin de les dépouiller de toute conscience de leur identité et même de leur humanité. Cette violence a atteint des pics au-delà de l'imaginable. Lorsque le fils de Nzali pense qu'il est absurde de la part de nos frères de ne pas spontanément embrasser l'Afrique, j'espère qu'il n'oublie pas ce que les nôtres ont enduré. Lorsque Habiba affirme à juste titre que si jamais quelqu'un venait à l'enlever aux siens elle ferait tout pour retrouver sa maison, j'espère qu'elle n'oublie pas ce que les nôtres ont enduré. Si elle était placée dans un environnement qui lui interdisait de parler sa langue, de mentionner son propre nom ancestral, et si cet environnement sanctionnait tout acte qui la rattacherait à sa culture, ses enfants et les enfants de ses enfants n'auraient plus grande conscience de cette culture. Le régime inhumain auquel les Africains déportés ont été soumis ne pouvait que globalement produire le résultat que nous déplorons.
Un aîné lors d'une causerie estimait que c'était à nos frères de revenir vers l'Afrique étant donné que c'est eux qui sont partis. Non, nos parents ne sont pas partis : ils ont été enlevés, mis en esclavage, enchaînés, torturés, embarqués dans des cales de bateaux et emmenés au loin. Ils se sont battus, se sont révoltés, ont remporté des victoires mais les armes de l'ennemi étaient plus fortes. Si jamais cet aîné apprenait que ses enfants, ses frères après avoir été emprisonnés et violentés quelque part se retrouvaient abandonnés dans une contrée lointaine avec les familles qu'ils ont fondées est-ce qu'il se croiserait les jambes à attendre que les siens retrouvent le chemin de chez eux ?
Si tout le monde pense que c'est aux autres de faire le premier pas, rien ne se passera jamais. Les Africains de la diaspora sont en droit aussi d'attendre que les frères du continent fassent le premier pas surtout qu'avec le conditionnement mental des esclavagistes ils pensent que ceux d'Afrique ont tout à se faire pardonner. Mon père m'a rapporté s'être fait apostropher un jour dans la rue par un Africain des Antilles qui lui a dit : " regardez ce que vous avez fait de moi, un b*!#%ard ". Non, nous ne devons plus attendre. Chacun d'entre nous lorsqu'il en a l'occasion doit aller vers les frères et les sœurs de l'autre côté de l'océan. Attendre n'apportera rien. La décision et le pouvoir d'agir incombent à chacun.
N'attendons pas.
Le moment « M », l'instant « I », le temps « T », le facteur « F » ne sont rien d'autre que n'importe lequel d'entre nous-mêmes. Faisons usage de toute la science dont nous sommes les dépositaires, utilisons la grande science de la parole génératrice d'harmonie à grande échelle afin de créer des routes, afin d'ouvrir des chemins, afin de bâtir des ponts de la famille panafricaine reconstituée. Le premier pas est le pas victorieux. Le pas qui doit faire notre histoire et l'Histoire. Un pas et un pas et un autre pas font une marche, un mouvement. Marchons ensemble vers notre victoire, la victoire des fils de Kama, Farafina, Africa. L'heure est à l'action et non à l'attente. Nous sommes les acteurs et les facteurs de notre histoire. Faisons-la. N'attendons pas.
Pharoah Sanders